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Creating a better future everyday« . C’est le slogan, le claim pour rester dans l’ambiance de la multinationale Unilever ( 44 milliards d’euros de Chiffre d’affaires et 4,6
milliards d’euros de bénéfices en 2010), un lessivier comme on disait dans les années 90 dans les écoles
de commerce avec des marques comme Omo, Persil, Skip, Cajoline qui ont pas mal occupé nos temps de cerveaux
disponibles , mais aussi présent dans le food avec là-aussi des vedettes des coupures pub de
Tf1 comme Amora, Knorr, Maille, Magnum. Liste non exhaustive.
Lazard et Perthus Digonnet
Un porte-feuille de marques que la multinationale
anglo-néerlandaise dont le siège est à Rotterdam, a généralement plutôt rachetées que crées . Comme le Thé Elephant, récupéré en 1972 au groupe Ricard et né à Marseille en 1927 de Lazare et
Perthus Digonnet, des hommes d’affaires marseillais, présents dans le business des produits coloniaux depuis la fin du 19 ième siècle. En 1977 Unilever va créer Fralib ( Française
d’alimentation et de boissons) en fusionnant la société des Thés de l’Elephant et son autre société dans les thés, Lipton. Tout en gardant les marques distinctes.
Fralib est une belle entreprise qui ne fait pas que du thé à
l’époque. Mais aussi des potages avec Royco, des boissons chocolatées avec Choky et des boissons au thé avec Liptonic. Des produits made in france fabriqués principalement sur 3 sites : Le Havre, Dissay en Poitou-Charentes et à Marseille dans l’usine du
Boulevard Camille Flammarion. A la fin des années 90, on commence à rationnaliser tout ça. On ferme Le Havre, on vend Dissay ( Royco et Choky), et on quitte Marseille pour Gémenos, en zone
franche, ou en plus des ouvriers marseillais on fait venir une petite cinquantaine de haut-normands. Et on spécialise tout ce petit monde. A Gémenos les thés parfumés, les infusions et les thés
verts et à Bruxelles, une autre des usines du groupe, les thés noirs. Pour l’instant dans ce jeu de bonneteau, Marseille s’en sort plutôt bien. Mais les choses vont se gâter par la
suite.
Unilever One
A la sortie du 20 ième siècle, Fralib est donc encore une vraie
entreprise, filiale d’une multinationale, mais encore relativement autonome. Elle achète ses matières premières , les transforme, les conditionne et les commercialise avec sa propre force de
vente. Elle a plusieurs activités, plusieurs usines et plusieurs marques. Elle réalise en 1999, 286 millions d’euros de chiffre d’affaires et 15 millions de résultat avant impôt, et reverse à
la collectivité 5 millions en IS. ( impôts sur les sociétés). Et puis à partir de 2000, après s’être concentrée comme on l’a vu uniquement sur le thé et les infusions, Fralib ne devient plus
qu’un centre de production. Les activités commerciales, le marketing, sont désormais centralisés chez Unilever France.
C’est la nouvelle organisation mondiale d’Unilever, »One Unilever
». D’un côté des cols blancs en Weston et en Paul Smith qui brain-storment et benchmarkent sur des slides power-point dans des open-spaces climatisés, et de l’autre des ouvriers en maillot de
l’OM et en clac-clac qui pointent dans des usines et bossent sur des chaines de montage. Enfin quand ils bossent, où qu’ils ne sont pas en grève. Cachez ces ouvriers que je ne saurai voir. Et
surtout leurs horribles délégués Cgt. One Unilever against Red Fralib.Vous avez dits lutte des classes ? de toute façon, même pour les socialistes, enfants de Jules Guesde, les ouvriers
n’existent plus. Des entreprises sans usine comme disait à l’époque le grand patron marseillais d’Alcatel
Serge Tchuruk.
Grâce à One Unilever, le CA de Fralib en prend donc un coup à
partir de 2001. En 2005 Fralib ne fait plus que 58 millions d’euros de CA, et 4,9 millions de résultat après avoir reversé 2,7 millions en IS. Deux fois moins qu’en 1999. Et puis en 2007
l’opération tzantas se poursuit. Car après avoir perdu la maitrise de la commercialisation de ses produits
Fralib est ensuite dépossédée de son approvisionnement en matière première. Gémenos ne devient plus qu’une sorte de façonnier qui fabrique le nombre de sachets de thé et d’infusion que Unilever
veut bien lui commander. Et ce n’est même plus Unilever France qui a la main, mais Unilever Supply Chain Company ( USCC), sorte de « centrale d’achats » européenne de la multinationale, qui
pilote désormais toutes les fonctions logistiques et de production pour le compte des marques Unilever dans chaque pays européen , et qui possède l’originale particularité d’être basée à
Shaffhausen, une charmante bourgade suisse au bord du Rhin.
Rheingold
C’est vrai qu’il y fait beaucoup moins chaud qu’à Gémenos et que
son impôt sur les sociétés ( 6% contre 33) y est aussi beaucoup plus doux que dans notre vieux pays. Das Rheingold comme disait Wagner. Tout ça est évidemment légal comme nous l’a expliqué un
brin géné tout de même un des porte-paroles d’Unilever. Optimisation fiscale contre évasion fiscale. Tout n’est qu’une question de point de vue. Mais dans les faits cette prestation est
facturée par USCC aux différentes filiales d’Unilever, comme Unilever France, par un pourcentage pris sur le chiffre d’affaire, d’environ 30%. Du coup le CA des filiales en question baisse, et
forcément le résultat aussi, et l’IS dans la foulée. C’est plus sympa pour les 35564 habitants de Shaffhausen, mais c’est plus compliqué pour payer les instituteurs qui apprennent à lire aux
enfants des directeurs marketing d’Unilever France.
Boire le thé jusqu’à la lie
Fin du premier épisode. Et les Fralib de Gémenos vont continuer à
boire leur thé jusqu’à la lie. Enfin ce qu’il en reste. Car si en 2003 les effectifs étaient de près de 300 salariés, ils sont aujourd’hui de 182. Le Chiffre d’affaire lui est passé en 2010 à
23 millions, pour un petit résultat 4,3 millions et un encore plus petit IS de 1,2 millions.
Et c’est en septembre 2010, il y a un an jour pour jour que la
nouvelle tombe : l’usine de Gémenos va fermer. Pas assez rentable, pas assez productive. Mais tout ça c’est la faute du marché, de ces mauvais consommateurs français qui trouvent plus sexy de
boire un café avec Georges Clooney que de siroter une infusion saveur du soir grand sud, sans parler de cette méchante grande distribution et de leurs marques distributeurs. Résultat : rideau
Gémenos.
Et si désormais l’Elephant sera fabriqué en Belgique et en
Pologne, rien à voir avec une délocalisation. Non, non, non. C’est juste que comme Unilever a perdu 20 % de part de marché, on est en surproduction. Et comme c’est l’usine de Gémenos qui est la
moins productive. C’est elle qui ferme. C’est ballot, mais c’est la vie, mon bon Monsieur. Et comme Unilever est une entreprise responsable » creating a better future everyday« et pas une horrible multinationale, on va faire ça dans la dignité.
Des reclassements dans le groupe ( 50 selon la direction, mais
déclassés – c’est à dire avec salaires moindres, selon les syndicats) seront proposés aux 182 salariés de Gémenos. Et les autres ? Ben on va leur retrouver un job. Equivalent et sur place. On
va réindustrialiser la zone. Comme Netcacao ? On a vu le résultat. Et tout ça dans un bassin d’emploi des plus touchés par le chômage. Les salariés de Fralib le savent bien. Alors plutôt que
prendre les espèces sonnantes et trébuchantes proposées par la multinationale, ils vont se battre pour garder leur outil de production à Marseille. » L’Elephant, en Provence il est né, en provence il restera » est leur marseillaise. Et c’est pas la solution la
plus simple. Surtout quand on est seul.
Et ils sont où, et ils sont où les politiques
?
Car comme d’habitude à Marseille à peu près tout le monde s’en
contre-fiche. Gaudin, tout à son rêve d’un Marseille-Miami, ça fait longtemps que des ouvriers dans sa ville il n’en veut plus. Comme les roms, ça fait tâche sur la carte postale. Jean-Noël
Guérini était venu il y a quelques mois faire son Mélenchon. Depuis, pas de nouvelles. C’est vrai qu’il a aujourd’hui d’autre souci. Il a bientôt rendez-vous avec le juge Duchaîne, et pas pour
boire le thé. Le Ministre de l’Industrie Eric Besson suit ça de très, très loin. Sauf si les Fralib se rappellent ce week-end à son bon souvenir, lors des universités d’été de l’UMP au Parc
Chanot. Il préfère le numérique, les biotechs à l’industrie. Christian Estrosi son prédécesseur, lui au moins n’avait pas peur des taches de camboui sur son costume de ministre. Hollande est
venu le 22 août dernier, on s’en souvient. Mais les Fralib attendent toujours de ses nouvelles. Ca doit pourtant pas être très compliqué quand on s’appelle François Hollande, donné par tous les
sondeurs comme prochain Président de la République, passé par l’Ena mais aussi par HEC de prendre rendez-vous avec le PDG d’Unilever France. Des HEC chez ces lessiviers il y en a plein les
open-spaces.
Michel Vauzelle, poussé par son Front de Gauche a sorti son carnet
de chéque pour payer une étude afin de réfléchir à un plan B, et Jean-Paul Giraud le nouveau Dir Cab d’Eugène Caselli s’est récemment saisi du dossier. Giraud est un héritier de la grande
famille d’huiliers et de savonniers marseillais, les Rastoin, qui ont du fermer leurs usines au milieu du 20 ième siècle concurrencés par … Unilever, qui finira par les racheter. Du coup Giraud
aimerait bien réecrire l’histoire.
Indignons-nous
Il y a donc un plan B, sur lequel reposent tous les espoirs de 182
salariés et de leur famille. C’est un document de 46 pages élaboré par le cabinet d’expert-comptable Progexa. Basé sur des hypothéses de vente complexes à élaborer car depuis que Fralib/Gémenos
ne maitrise plus sa force commerciale et ses achats de matière première, pas facile d’y voir clair. Mais pour Progexa il y a de la place pour conserver l’usine. A condition qu’ Unilever cède
les machines et surtout la marque, l’Elephant. Autant pour les machines Unilever est d’accord, autant pour la marque ils ne veulent absolument pas en entendre parler. Car même si depuis
plusieurs années ils n’ont franchement rien fait pour la développer, au contraire, préférant investir sur leur marque mondiale de thé et d’infusion Lipton, ils n’ont pas envie qu’elle puisse un
jour tomber dans l’escarcelle d’un concurrent. Du coup, la stratégie est de décrédibiliser le dossier de reprise, à fin , sous la pression politique, de ne pas avoir à céder la marque aux
salariés. Pour cela un site internet a d’ailleurs été mis en place qui découpe en rondelle la bouée de sauvetage
des Fralibs.
Et depuis mercredi dernier, date à laquelle les salariés ont reçu
leurs lettres de licenciement, la tension est montée d’un cran. Comme par hasard le matin même se tenait un comité d’entreprise. Forcément houleux, avec le directeur de l’usine et son DRH, eux
aussi bien loin des salles climatisées d’Unilever France, devant faire face à une petite centaine de salariés à bout. Ils s’en sont sortis avec quelques jets d’oeufs. Grâce au sang froid des
délégués CGT . Nous étions là, nous avons vu la scène. Et sans être naïf, cette évidente provocation rappelle plutôt les méthodes du patronat du 19 ième siécle, que celles d’une multinationale
dotée « d’un code
de bonne conduite » et où il y est écrit
que » nous pensons qu’une ligne de conduite exemplaire à l’égard de nos collaborateurs, de nos partenaires, de
la société et de l’environnement qui nous entoure est indissociable de notre succès ». Rien que pour ça nous n’avons pas le droit de laisser tomber les Fralibs. Il en va de
l’avenir économique de nos enfants, mais aussi de notre dignité.
Réactualisation le 3 septembre : l’entourage de François Hollande souhaite nous préciser que des courriers
ont été envoyés à la direction d’Unilever et qu’il recevra le 6 septembre les salariés à l’Assemblée Nationale.