LEMONDE.FR avec AFP, Reuters | 21.09.11
Entendu plusieurs heures par trois juges d'instruction parisiens, mercredi 21 septembre, Jacques Servier a été mis en examen dans le cadre de l'enquête sur le médicament Mediator. Le président et fondateur des laboratoires Servier est poursuivi pour "obtention indue d'autorisation, tromperie sur les qualités substantielles [pour la période allant de 1976 à 1995], tromperie sur les qualités substantielles avec mise en danger de l'homme [1995-2009] et escroquerie", a précisé son avocat, Hervé Temime.
L'instruction ouverte sur ce dossier comporte les chefs d'"homicides et blessures involontaires", mais M. Servier n'est pas poursuivi pour ces chefs, contrairement à ce qui a été dit dans un premier temps.
Jacques Servier, 89 ans, a été placé sous contrôle judiciaire avec obligation de payer une caution de quatre millions d'euros. En outre, il devra fournir une "garantie" de six millions d'euros avant le 15 décembre.
Dans une déclaration spontanée faite devant les juges et rapportée par Me Temime, M. Servier a "réaffirmé, tout en regrettant pour le personnel et les patients que la position du groupe ait été mal comprise, que les laboratoires Servier assumeraient toutes leurs responsabilités à l'égard des consommateurs victimes des effets secondaires du Mediator". Il a dénoncé la "violence médiatique" dont il se dit victime et assuré que les griefs pour lesquels il est poursuivi sont infondés et qu'il n'y a eu ni obtention indue de l'autorisation de mise sur le marché, ni tromperie, ni escroquerie.
C'est la première fois que Jacques Servier comparaissait devant un juge dans ce scandale sanitaire qui suscite un vif débat sur la politique du médicament en France. Convoqué au pôle financier de Paris ce matin à 10 h 30, il en est ressorti vers 18 heures, indique Le Figaro.
Cinq personnes morales – des filiales du groupe Servier – ont également été mises en examen et placées sous contrôle judiciaire pour les chefs d'"obtention indue d'autorisation et escroquerie". Elles ont reçu l'obligation de verser une caution de 26 millions d'euros et de fournir une garantie de 36 millions d'euros, a précisé Me Temime. Deux autres personnes morales ont été entendues sous le statut de témoin assisté.
Selon une source judiciaire, le préjudice total dans cette affaire est estimé à 500 millions d'euros.
ENTRE 500 ET 2 000 VICTIMES
L'enquête sur le médicament des laboratoires Servier, menée par le parquet de Paris, doit déterminer les responsabilités des différents acteurs de l'affaire Mediator. Ce médicament, détourné comme coupe-faim, est accusé d'être à l'origine de la mort de 500 à 2 000 personnes, selon des estimations, et d'avoir provoqué de graves lésions cardiaques chez des milliers d'autres.
"C'est maintenant à nous de nous expliquer. C'est une évidence, mais les personnes mises en examen sont
présumées innocentes. Maintenant, l'instruction commence réellement", a dit aux journalistes Me Temime.
Des témoignages d'anciens scientifiques de Servier versés au dossier ont accrédité, selon les parties civiles, l'hypothèse que les laboratoires Servier ont dissimulé la vraie nature du médicament, un coupe-faim présenté comme antidiabétique. Le laboratoire a répliqué que ces nouveaux témoins rapportaient des faits vieux de quarante ans et contesté toute tromperie, expliquant que les témoins avaient à ses yeux des problèmes de mémoire.
TÉLESCOPAGE AVEC LE PROCÈS DE NANTERRE
Cette affaire a déstabilisé le système français de santé et conduit à une remise en cause de la place de l'industrie pharmaceutique, de son influence et de ses liens avec les autorités politiques. Le Mediator a en effet été maintenu sur le marché et a conservé le remboursement par la sécurité sociale, malgré plusieurs alertes reçues dès 1999, au moins.
La question des liens nombreux entretenus à droite comme à gauche par Jacques Servier est donc dans le champ de l'enquête, d'autant que Nicolas Sarkozy a été, avant d'être chef de l'Etat, son avocat. En tant que président de la République, il lui a remis personnellement la Légion d'honneur en 2008.
La mise en examen de Jacques Servier intervient cinq jours avant l'audience programmée le 26 septembre sur la même affaire au tribunal de Nanterre. Cette procédure, que la Cour de cassation a refusé de joindre à celle de Paris, est portée par environ 25 parties civiles – auxquelles se sont greffées 110 à 130 "intervenants volontaires" – et doit en principe aboutir à fixer un premier procès sur le fond au printemps, avec sur les bancs des prévenus les laboratoires Servier, sa filiale commerciale, Jacques Servier et quatre autres dirigeants.
La mise en examen à Paris pourrait changer la donne, puisque la justice se retrouve avec deux poursuites pour tromperie. La procédure parisienne, où plusieurs milliers de personnes sont parties civiles, prendra mécaniquement plusieurs années avant de déboucher sur un procès, avec possibilité d'appel et de cassation ensuite, ce qui laisse craindre aux victimes un enlisement.